La réforme du baccalauréat de 2018 est-elle en train de tuer l'enseignement des langues régionales au lycée ? Partout en France, dans les territoires concernés, le constat est le même. Les lycéens fuient une matière qui a perdu de son attractivité et se trouve désormais en concurrence frontale avec les "poids lourds" que sont l'anglais et l'espagnol. Mais avant d'entrer dans le détail de ce recul historique, revenons quelques années en arrière…
Avant la réforme de 2018, les langues régionales sont souvent utilisées comme option pour des raisons d'opportunité : les élèves sont attirés par cette matière qui ne peut pas leur faire perdre de points. Une option qui représente alors un "vivier historique" pour l'alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse et l'occitan, et leurs quelque 100.000 élèves sur tout le territoire national.
À l'été 2018 arrivent les textes réglementaires réformant le baccalauréat. Quelles possibilités s'offrent désormais à un lycéen ? Il peut tout d'abord choisir une langue régionale au titre de deuxième langue vivante (LVB). Ici, le ministère de l'Éducation a beau mettre en avant le "poids en termes de coefficient renforcé" pour cette solution, le principe de réalité l'emporte. En Bretagne, les familles font remonter un "choix compliqué" impliquant "une concurrence avec l'anglais et l'espagnol". Autre possibilité pour l'élève : choisir une langue régionale en tant qu'enseignement optionnel, au titre de troisième langue vivante (LVC). Dans ce dernier cas, la note est peu influente, voire anecdotique. Elle ne représente plus que 1% du total. Un comble pour un enseignement dont l'attractivité reposait sur le caractère bonifiant de l'option. Caractère désormais disparu.
Dès la réforme sur les rails, des parlementaires s'inquiètent pourtant de ses conséquences sur l'attractivité des langues régionales. Jean-Claude Luche, alors sénateur de l'Aveyron, regrette la concurrence instaurée avec les autres langues : "Pour l'élève, choisir l'enseignement de langues régionales ne devrait pas se réaliser au détriment d'une autre langue vivante." Claude Bérit-Débat, alors sénateur de la Dordogne, estime que la réduction de la place des langues régionales au lycée "serait un recul autant préjudiciable qu'injustifiable alors que la Constitution reconnaît les langues régionales et leur apport culturel".
De fait, comme le souligne l'Oplo (Office public de la langue occitane), le lycée est un maillon essentiel dans la chaîne de transmission des langues régionales, le point de départ d'un cercle vertueux : "Du lycée dépend en effet le nombre d’étudiants en langue occitane dans l’enseignement supérieur et, par conséquent, le nombre de professeurs des filières intensives bilingues et extensives." Alors, l'occitan, en gain ou en perte de vitesse avec la réforme du bac de 2018 ? À cette question centrale, la réponse est claire pour l'Oplo : "À ce jour, le nombre d’élèves au lycée reste insuffisant, aussi bien pour assurer le développement de l’offre d’enseignement en langue occitane que pour garantir le maintien de l’offre existante."
Pour l'occitan, la situation la plus préoccupante – si l'on excepte le cas de l'académie de Poitiers où aucun enseignement n'est proposé – est celle de l'académie de Limoges. Les effectifs en lycée y ont fondu de 44% et une fermeture de classe en collège y est à déplorer. Dans l'académie de Bordeaux, la baisse des effectifs en lycée atteint 32% avec une fermeture de classe en lycée. Sur l'académie de Montpellier, ce sont 20% d'élèves en moins et trois fermetures de classes au lycée. Tandis que l'académie de Toulouse enregistre un recul de 14% du nombre de lycéens ainsi que deux suspensions de classes au collège et deux autres au lycée.
L'occitan est loin d'être un cas isolé. L'Office public de la langue bretonne donne des chiffres comparables. À la rentrée de septembre 2020, l'enseignement du breton comme langue vivante en classe de seconde a reculé, par rapport à 2019, de 42% dans les lycées publics et de 32% dans le réseau des lycées catholiques.
Quant à l'enseignement du basque, il connaît également une érosion. Ici, c'est le taux de continuité entre les classes de seconde et de première qui inquiète. Dans la filière bilingue – dont les élèves passent l'épreuve de langue régionale en deuxième langue vivante –, ce taux chute de 92,5% en 2017 à 72,7% en 2020. Conséquence : alors que les effectifs croissaient régulièrement en classe de première ces dernières années, ils dégringolent de 13% à la dernière rentrée. Quant à l'enseignement du basque en option, il choit de manière plus spectaculaire encore : -57,5% sur deux ans en classe de terminale, alors que, là encore, les effectifs étaient en croissance jusqu'en 2018. Voilà pour le tableau. Ce qui fait dire à Visant Roue, directeur du pôle étude et développement à l'Office public de la langue bretonne : "Les signaux d'alerte sont confirmés."
Dans les régions concernées, la colère gronde. Le ministère de l'Éducation nationale l'entend. Mais la comprend-il ? En octobre 2020, la Dgesco (direction générale de l'Enseignement scolaire) reçoit une délégation de la Flarep (Fédération pour les Langues Régionales dans l'enseignement public). Commentant ce sombre tableau, Thierry Delobel, son président, s'exclame devant ses interlocuteurs : "Si vous souhaitez éradiquer l’enseignement des langues régionales, il faut le dire haut et fort." La réponse implicite vient de Bretagne où le rectorat annonce pour la rentrée 2021, non plus trois heures hebdomadaires par classe mais trois heures par niveau pour l’enseignement des langues régionales dans le secondaire. Avec les conséquences que l'on devine. L'intervention de parlementaires et une forte mobilisation à Brest, le 20 février, permettent de suspendre cette décision. Sans toutefois la rendre pérenne. En avril 2021, un nouvel examen de la proposition de loi sur les langues régionales portée par le député du Morbihan Paul Molac sera l'occasion de remettre l'ouvrage sur le métier. Comment dit-on "espoir" en breton, occitan, basque ou alsacien ?