- "Les langues régionales s'éteignent naturellement. " Jean-Eric Shoettl en est persuadé : "L'Etat n'est pour rien dans leur disparition." "Que voulez-vous, a-t-il ajouté : il y a quelque chose qui s'est perdu. Les gens n'ont plus envie de parler ces langues." Je lui ai aussitôt demandé s'il avait entendu parler de la pratique du signal, cette méthode utilisée par les instituteurs pendant des décennies consistant à punir les enfants surpris à parler breton, corse ou occitan à l'école. "Non, jamais", m'a-t-il répondu. Alors, citons à son intention ce seul exemple. Le premier jour de sa scolarité, un petit Breton ne parlant que cette langue a demandé à aller aux toilettes. Le maître a exigé qu'il pose la question en français, ce dont il était évidemment incapable, si bien que le pauvre élève a fini par uriner sur lui. Devenu adulte, cet homme n'a pas transmis le breton à ses enfants, afin qu'ils ne revivent pas le même traumatisme. "Quelque chose", en effet, s'était perdu. Peut-on affirmer que l'Etat, en acceptant de telles pratiques et en faisant du français seul la langue de l'école et de la promotion sociale, y soit vraiment pour rien ?
- "Il ne servirait à rien de faire de l'acharnement artificiel." Jean-Eric Shoettl a poursuivi son raisonnement. "Puisque ces langues s'éteignent naturellement, tenter à tout prix de les sauver reviendrait à une forme d'acharnement artificiel." Et de citer l'exemple de "l'Irlande où, malgré les efforts des autorités, le gaélique est moribond". D'où sa conclusion : "Passé un certain degré de dépérissement, aucune politique publique, si volontariste soit-elle, ne peut sauver une langue." Je lui ai évidemment opposé l'exemple du Québec, en lui demandant s'il considérait que les vigoureux dispositifs en usage en faveur du français dans la Belle Province - notamment son enseignement dans les écoles publiques et le fait qu'il permette d'accéder à un emploi - n'avaient "aucun effet". Là, curieusement, il a changé d'opinion. "C'est une société où l'on parle encore français. On n'en est pas encore au stade de l'acharnement." Il n'y a pas si longtemps, lui ai-je aussitôt fait remarquer, l'alsacien, le flamand, le basque et les autres, étaient pratiquées quotidiennement par les populations. Aurait-il donc été légitime de prendre des dispositions pour les conforter ? "Non plus, a-t-il assuré, car la France est un Etat unitaire." Autrement dit, il ne faut pas prendre de mesures en faveur des langues régionales quand elles sont largement pratiquées, et il ne sert plus à rien d'en adopter quand elles le sont moins. Imparable !
- "Tant pis si ces langues disparaissent." Finalement, lui ai-je fait remarquer, considérez-vous qu'enseigner les langues régionales dans le public menacerait l'unité de l'Etat et qu'il faut pour cette raison s'y opposer, quitte à ce que les langues régionales disparaissent ? Sa réponse a eu le mérite de la franchise : "Oui."
Conclusion ? Il serait abusif d'écrire que l'on peut faire dire tout et n'importe quoi à la Constitution. En revanche, dès lors qu'elle permet une certaine souplesse d'interprétation, il est clair que la décision du Conseil à propos de la loi Molac dépendra beaucoup de la sensibilité de ses membres et de celle des hauts fonctionnaires qui les assistent. Sachant que celle-ci ressemble beaucoup à celle de Jean-Eric Schoettl, mélange de nationalisme et d'indifférence totale à la diversité culturelle, il y a de sérieuses raisons d'être inquiet pour son avenir...
(2) La juriste Anne Levade estime pour sa part que le Conseil pourrait se saisir de l'occasion pour donner une portée normative à l'article 75-1 de la Constitution ajouté en 2008 et ainsi rédigé : "Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France." Certes, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité en 2011, les "sages" ont déclaré que cet article "n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit". "Précisément, argumente-t-elle. Ici, il ne s'agit pas d'une question prioritaire de Constitutionnalité, mais d'un texte de loi. Si le Conseil veut accorder un effet juridique à l'article 75-1, c'est le moment !"
A LIRE AILLEURS
" Peut-être, mais difficilement, voire très difficilement dans certains cas, alors que des mesures concrètes garanties par l'État pourraient changer la donne", rappellent Cameron Morin, doctorant en linguistique et Médéric Gasquet-Cyrus, maître de conférences en sociolinguistique dans cet excellent article publié par le site The conversation. "Sans planification, soulignent-ils, une politique reste à l'état de discours ou de déclaration d'intention."
Avant même que Jean-Michel Blanquer ne confirme le rejet par le ministère de l'Éducation nationale de l'écriture inclusive, une pétition destinée à l'Académie française circulait sur Internet depuis le 2 mai sur le fil du groupe Facebook "Non à l'imposition de l'écriture inclusive".
Lancée à l'initiative du linguiste Jean Maillet, soutenu par ses collègues Alain Bentolila et Françoise Nore, elle avait recueilli le 10 mai quelque 20 000 signatures. Eliane Viennot, l'une des plus fervente partisane de l'écriture inclusive, a réagi à cette initiative sur sa propre page Facebook.
Pourquoi appelait-on Arthur Rimbaud "l'homme aux semelles de vent" ; le général Franco "le Caudillo" ou encore Bernard Hinault "le blaireau" ? A ces questions, Daniel Lacotte répond dans son nouvel ouvrage consacré aux surnoms : Le Tigre, le Vert Galant, la perfide Albion et les autres... Les surnoms au fil de l'Histoire (Editions Christine Bonnefon).
La lecture rapide est une méthode d'apprentissage qui permet d'accélérer sa vitesse de lecture. La carte heuristique, elle, est un schéma qui reflète le fonctionnement de la pensée et permet de représenter et de suivre visuellement le chemin de la pensée. Les championnats du monde de ces deux disciplines se dérouleront les 29 et 30 mai en ligne.
Depuis soixante-dix ans, les équipes d'accueil et d'amitié pour les étudiants étrangers (EAAEE) accompagnent des étudiants du monde entier en leur proposant notamment une aide dans la pratique orale et écrite du français et des activités culturelles. A l'occasion de son anniversaire, l'association change de nom et devient "Accueil et langue française pour les étudiants étrangers" (Alfée).
Robèrt Martí (Robert Marty, en français) ancien président de l'Institut d'études occitanes de 1986 à 1997, est décédé à Rodez (Aveyron) le 5 mai. Né à Albi (Tarn) en 1944, romancier, enseignant occitan, humoriste, il était notamment connu pour son interprétation du personnage de Padena. On le voit ici dans une conférence donnée en français où il évoque avec érudition et humour la limite entre oïl et oc, tout en citant Marcel Proust.
A question simple, réponse complexe. Doit-on parler d'"alsacien" ou de "dialecte" ? La langue enseignée doit-elle être l'allemand standard ? Un sujet passionnel auquel cet article tente d'apporter des éléments de compréhension.
La Société de linguistique de Paris, la plus ancienne société savante dans ce domaine (elle a été créée en 1864) consacrera sa séance du 12 juin 2021 à un thème inhabituel pour elle : "Les langues régionales de France : nouvelles approches, nouvelles méthodologies, revitalisation". Une forme de reconnaissance pour les langues de France, jugées enfin dignes d'étude. Les organisateurs sont Michela Russo, Catherine Schnedecker et Annie Rialland.
El parinthèsse (la parenthèse) est le titre de l'ouvrage qui a valu à André Leleux de recevoir le prix de littérature en picard 2021 d'Amiens (Somme). Il s'agit du prix littéraire le plus important pour cette langue.
Errare feltinum est
Faut-il y voir un acte manqué ? En tout cas, j'ai moi-même commis une erreur dans mon article sur le participe passé la semaine dernière. J'aurais en effet dû écrire "Elle s'est coupé quoi ?" et non "elle s'est coupée quoi ?", comme me l'a fait remarquer un internaute attentif. De quoi m'inciter à basculer dans le camp des réformateurs...
A ECOUTER
Contrairement à ce que l'on peut voir dans la plupart des films, Napoléon, né comme chacun sait en Corse, parlait français avec un fort accent régional et commettait régulièrement des fautes d'orthographe. De Vive voix, l'émission de RFI de Pascal Paradou, rappelle cette vérité, tout en présentant la manière dont on parlait sous le Premier Empire.
A REGARDER
C'est un symbole que nous utilisons tous les jours et qui pourtant ne s'emploie dans aucun mot de la langue française. Voici l'histoire étonnante de l'@, un petit caractère né au Moyen Age, resté longtemps confidentiel et qui connaît avec Internet un étonnant destin.
"La nuit tombe. Et personne pour la ramasser...", disait Alphonse Allais. En collaboration avec les éditions Le Robert, le linguiste Julien Barret propose en vidéo une nouvelle rubrique intitulée Figurez-vous, soit une plongée dans la rhétorique. Exemple ici avec la catachrèse, autrement dit les mots et expressions utilisés dans un sens figuré et dont on oublie parfois le sens originel. Une figure de style qu'utilisent encore les rappeurs d'aujourd'hui.